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Publié le : 18/04/2017 19:10:24
Catégories : Concerts
« Le Printemps de Bourges doit devenir, pour tous ceux qui s'intéressent à la chanson, un lieu de création, d'expression et de confrontation sur la chanson d'aujourd'hui. »
C'est par cette phrase que, fin 1976, se présente un concept nouveau : un festival de chanson, en plein coeur d'une ville moyenne de province, et qui doit se dérouler pendant les vacances de Pâques.
Cette phrase, on peut la conjuguer au présent, alors que s'annonce le 40ème Printemps de Bourges. Il suffirait de changer le mot « chanson », trop restrictif aujourd'hui, par « musiques actuelles » ou « musiques populaires », et on retrouverait aujourd'hui presque à l'identique l'esprit et la forme du premier Printemps de Bourges, tels que l'entendent ses fondateurs, Daniel Colling et ses complices Maurice Frot et Alain Meillant.
Depuis que cette phrase a été écrite, il est passé à Bourges 3229 artistes et groupes en trente-neuf Printemps - quatre décennies d'histoire des musiques populaires, Léo Ferré et Dominique A, NTM et Juliette Gréco, U2 et Cesaria Evora, Jean-Louis Murat et Jacques Higelin, les Têtes Raides et Anne Sylvestre...
Alors que règne à la télévision et à la radio la variété à paillettes des Dalida, Sardou et Mireille Mathieu, toute une partie de la chanson française peine à atteindre son public. L'envie qui motive le premier Printemps de Bourges, du 6 au 10 avril 1977, est de rassembler « l'autre chanson ».
La forme est originale : en cinq jours, une quarantaine d'artistes et vingt concerts à la Maison de la Culture, dans un chapiteau monté place Séraucourt et au théâtre Jacques Coeur. Il y là François Béranger, Jacques Higelin, Dick Annegarn, Bernard Lavilliers, Leny Escudero, Henri Tachan, Catherine Ribeiro, Colette Magny, Font et Val, Julos Beaucarne, Jacques Bertin, Mama Béa Tekielski, Joël Favreau, l'Haïtienne Toto Bissainthe, les Occitans Joan Pau Verdier et Marti : toutes les manières de chanter autrement, les chanteurs au drapeau noir et les chanteurs au drapeau rouge, les identitaires et les poètes, les nouveaux troubadours et les chercheurs d'une chanson nouvelle, ceux qui gueulent contre le vieux monde et ceux qui rêvent du monde futur, les « trad » et les électriques...
Pour ne pas totalement dépayser le public « adulte », le Printemps a aussi invité les Frères Jacques et Serge Reggiani, mais aussi Charles Trenet, qui va chanter sous le grand chapiteau de 4000 places, après un hommage de la jeune génération, emmenée par Jacques Higelin. Le fou chantant sera fou de joie de la rencontre avec un public majoritairement très jeune.
Le premier Printemps est un succès : presque 13000 billets vendus. Mais les relations entre le Printemps et une partie des Berruyers ne sont pas vraiment au beau fixe. Protestations des riverains et craintes des commerçants accueillent le débarquement des « Indiens », comme on appelle ce public à cheveux longs, sac à dos et bourse vide... Il faudra quelques années pour que la ville adopte vraiment son festival.
Dès sa deuxième édition, le Printemps est sur une pente irrésistiblement ascendante : quatre-vingt artistes, quarante-cinq concerts et 25000 spectateurs en cinq jours. Sept jours et 40000 spectateurs en 1979, neuf jours et 50000 spectateurs en 1981... Mais, chaque année, il faut renégocier le budget avec la Maison de la Culture, débattre de la survie même du festival...
En 1982, avec l'arrivée de Jack Lang au ministère de la Culture, la donne change : l'Etat commence à subventionner le Printemps de Bourges, eut égard à sa position unique parmi les festivals français. La région Centre et le département du Cher vont compléter à partir de 1986 le partenariat des puissances publiques.
Les années 80 vont voir passer à Bourges toute la scène française, des classiques plus ou moins jeunes (Léo Ferré, Yves Montand, Francis Cabrel, Serge Gainsbourg, Michel Jonasz, CharElie Couture, Charles Aznavour, William Sheller, Francis Lalanne) à toutes les nouvelles sensibilités (Indochine, Stephan Eicher, Etienne Daho, Daniel Balavoine, Alain Bashung). Mais le Printemps va être aussi le théâtre du déferlement du rock nouveau : The Cure en 1982, U2 en 1983, Simple Minds en 1984, etc...
Depuis le premier Printemps, il y a à Bourges des scènes ouvertes (c'est d'ailleurs là qu'a été inventée cette expression). Le label Découvertes apparaît en 1986 pour signaler des groupes et artistes repérés par les correspondants du Printemps partout en France - et certaines années à l'étranger. On y verra Chanson Plus Bifluorée et les Hot Pants de Manu Chao (1986), la Mano Negra (1988), les Têtes Raides (1989), Zebda (1990), Faudel (1996), Madeleine Peyroux, Paris Combo et Lhasa (1997), Bams (1999), Jeanne Cherhal (2001), Nosfell (2004), Anaïs (2005)...
Le Printemps invente aussi de nouvelles formules à l'intérieur de la programmation festivalière : Musiques buissonnières (pour le classique), Maximômes (spectacles pour enfants), un abondant cycle de spectacles d'humour (on se souvient de performances historiques de Pierre Desproges), les Hors jeux (spectacles de rues), les Pêchés de chère (soirées associant musique et gastronomie)...
Au 10e Printemps, en 1986, on atteint 125000 spectateurs, dix fois plus qu'en 1977. Et le record est encore battu en 1987 avec 133000 spectateurs payants. Mais en 1989 le Printemps, souffrant de gigantisme, doit déposer son bilan.
Le nouveau départ du Printemps, en 1990, voit l'irruption du rap, avec Public Enemy ou, l'année suivante, une légendaire conférence de presse commune de NTM et Juliette Gréco. Le festival est aussi la tête de pont de l'ouverture historique du public français aux musiques du monde, depuis quelques années (on se souvient du plus gros concert du Printemps : les 18000 spectateurs de Johnny Clegg en 1988). Les années 90 le voient radicaliser ce choix-là, accueillant toutes les vedettes de la world music : Khaled, Youssou N'Dour, Salif Keita, Kassav', Rachid Taha, Cheb Mami, Ray Lema, Cesaria Evora, Papa Wemba, Lucky Dube, Manu Dibango, Danyel Waro, Compay Segundo, Yuri Buenaventura, Madredeus, I Muvrini... Et c'est sous le grand chapiteau de Bourges que se manifeste le plus spectaculairement la passion française pour le reggae, des Wailers en 1997 à Massilia Sound System à cinq reprises.
Le festival affronte aussi la complexité du marché musical en épousant ses contours changeants : diverses tribus rock ou électro, variété grand public et chanson exigeante, électro et rock, Rita Mitsouko et Eddy Mitchell, Négresses Vertes et Henri Salvador, Joe Cocker et MC Solaar, Patricia Kaas et Blur, Noir Désir et Worlds Apart... C'est cet élargissement tous azimuts qui manque, une fois de plus, d'entraîner la fin du Printemps, en 1998.
Mais, entretemps, le Printemps est devenu le plus grand rendez-vous des professionnels des musiques populaires, notamment avec le salon professionnel international Tam Tam France. Il a aussi importé en France les Magic Mirrors, chapiteaux de bois et de miroirs venus de Belgique et adoptés depuis par cent autres festivals en France. Et, avec « Le Printemps dans la ville », il a fini de se réconcilier avec Bourges en structurant l'abondante programmation de concerts dans les bars pendant le festival.
Dans les années 90, le Printemps a de nouveau dépassé la barre des 100000 spectateurs. Avec sa nouvelle équipe de programmation, Daniel Colling décide à partir de 1999 de revenir à ses valeurs fondamentales d'origine, la découverte et l'audace. Rock « pointu », créateurs les plus féconds de l'électro, nouveaux chanteurs français : le Printemps redevient la caisse de résonnance des nouveautés les plus passionnantes du moment, de Yann Tiersen à Vincent Delerm, de Dionysos aux Têtes Raides, de Souad Massi à Tiken Jah Fakoly, de Bénabar à Susheela Raman, de Cali à Franz Ferdinand... C'est là que se confirment ou se dégonflent les « buzz », que se révèlent les valeurs scéniques, que se réévaluent les hiérarchies.
Le format est désormais autour des 50000 places, avec un taux de remplissage qui dépasse chaque année les 95% : plutôt que sur des jauges énormes, le Printemps mise plus sur l'excellence et la pertinence de sa programmation, conquérant une influence et une légitimité qu'il n'avait jamais connus jusqu'alors dans son histoire.
2006-2015 : le Printemps sans hiver Une nouvelle ère s’ouvre, sereine et généreuse malgré le gros temps qui accable le paysage culturel français – subventions publiques orientées à la baisse, crise économique… Le Printemps passe le cap de sa 30e édition, en 2006, avec des hommages remarqués à Léo Ferré et Serge Gainsbourg. Et, dans un marché musical sinistré par la durable crise du disque, et dans lequel aucune tendance, aucune couleur, aucune star ne parvient à imprimer seule sa marque sur chaque saison, le Printemps de Bourges reste le baromètre et le révélateur des nouvelles gloires : Olivia Ruiz, Yael Naim, Thomas Dutronc, The Do, Camille, Moriarty, Emily Loizeau, Gaëtan Roussel… Le festival continue de synthétiser l’air du temps, avec des instants historiques comme un sublime duo de Juliette Gréco et Abd Al Malik sur Né quelque part de Maxime Le Forestier, la création des Françoises (Jeanne Cherhal, Camille, La Grande Sophie, Olivia Ruiz, Emily Loizeau et Rosemary Standley de Moriarty réunies pour un soir), des hommages multi-artistes à Lhasa ou Nina Simone… Et il invente la Rock’n’Beat Party qui unit, dans deux salles et toute la nuit, les platines des DJ et le guitares des rockers... Ce Printemps ne connait plus d’hiver.
Le 40e Printemps est symbolique. Une grosse création fascinante pour célébrer quatre décennies d’audaces et de plaisir à Bourges. Un nouveau format de soirée, l’Happy Friday pour la nuit du vendredi au samedi. Et un nouveau directeur pour le Printemps, qui se révèle chaque année tout aussi fidèle que renouvelé. En 2017, par exemple, on invente un signe de reconnaissance pour tous les festivaliers…